Les « ça suffit » des gilets jaunes
Morceaux d’interview d’un adhérent de notre mouvement, qui prend son café au bar d’un petit bourg tenu par Alain. Alain a participé aux manifestations des gilets jaunes.
Q. : Comment t’as pu te libérer pour participer aux différentes manifs ?
Alain : C’est ma fille qui est au chômage qui me remplaçait au bar pendant les manifs
Q. : Qu’est-ce qui t’as poussé à t’engager dans cette action ?
Alain : Bien sûr, il y avait le prix de l’essence : ma fille qui a 35 ans a des CDD et travaille dans le secteur de la propreté comme ils disent ; eh bien elle dépense une bonne partie de ses salaires pour se rendre au travail à Rennes. Et, comme elle n’a pas de CDI, elle ne peut obtenir de location et habite chez moi avec son fils de 6 ans.
Q. : D’accord, mais la situation de ta fille était déjà précaire.
Alain : C’est vrai mais le vase était déjà trop plein. Et il y a eu le mépris de Macron à l’égard des petites gens : « ceux qui ne sont rien, des illettrés, ceux qui n’ont qu’à traverser la rue pour trouver du travail… » comme il dit.
Q. Peut-être, mais en-dehors de Macron et du gouvernement, il n’y a pas eu de mépris à l’égard du mouvement des gilets jaunes.
Alain : Un peu au début, beaucoup n’ont pas perçu leur ras-le-bol fiscal qui allait bien au-delà des taxes sur le carburant : le gouvernement a demandé à plusieurs reprises des efforts à ceux qui sont parmi les plus touchés par les inégalités sociales. Et il parle de lutte contre le réchauffement climatique alors que les recettes fiscales qui doivent y remédier servent principalement à remplir les caisses de l’État.
Q. : Je crois que ce que tu dénonces est repris par les partis d’opposition
Alain : Je ne fais plus confiance à ces partis : plutôt que de chercher des solutions pour pallier aux injustices, ils préfèrent surfer sur notre colère espérant des retombées pour les prochaines élections.
Q. : Pourtant certains élus se prononcent en faveur de mesures de justices fiscales qui répondent à tes préoccupations.
Alain : Encore faudrait-il qu’ils s’entendent. Ils sont toujours en concurrence pour avoir la meilleure place.
Q. : Peut-être mais, lorsqu’il y a des grèves, il y a les syndicats qui se battent aussi contre des injustices, un peu comme les gilets jaunes.
Alain : En fait, les syndicats ne se préoccupent que de la défense des salariés et encore surtout de ceux qui ont déjà un statut protecteur parce que, d’après ma fille qui s’y connaît, les précaires et les chômeurs n’y sont pas nombreux.
Q. Il reste quand même les associations…
Alain : C’est un peu la même chose : chaque association a son objectif et on ne s’y retrouve pas là-dedans.
Q. C’est un peu pessimiste, il ne reste plus grande possibilité dans ce cas
Alain : Non, c’est plutôt du réalisme. Bien avant Macron, la gauche comme les syndicats ou les associations n’ont pas pris nos soucis au sérieux. Moi qui ne fais pas toujours mille euros par mois, les services fiscaux exigent que je paie 500 euros tous les ans de taxe pour une petite télé et je paie encore des taxes à la SACEM pour cette télé. Lorsque j’avais un simple poste de radio, c’était pareil.
Q. C’est donc toujours le petit qui paie !
Alain : Oui, j’ai un voisin plombier qui a un salarié. Il va être obligé de le licencier car il n’arrive plus à payer ses charges. Il ne peut supporter d’entendre parler des multinationales qui ne paient pratiquement pas d’impôt. On parle d’optimisation fiscale mais, c’est plutôt de l’évasion fiscale.
Q. Comment tu vois l’avenir alors ?
Alain : J’espère qu’à notre petit niveau, les syndicats et les associations vont pouvoir tirer les leçons des faiblesses de la gauche politique et adapter leur fonctionnement pour permettre aux plus précaires de se faire entendre dans la société.